Décembre 2016
L'ESPRIT DE CONCILIATION
Laurence Franceschini vient d’être nommée Médiatrice du cinéma et succède donc à Jeanne Seyvet, dont nous saluons ici le travail et l’implication. Dans le même temps, Frédérique Bredin, Présidente du CNC, a annoncé récemment la volonté des pouvoirs publics de renforcer les pouvoirs de la Médiatrice. Nous avons rencontré Mme Franceschini et avons pu échanger au sujet des spécificités de l’Art et Essai.
Nous savons bien que le quotidien des exploitants, comme des distributeurs indépendants, est soumis à des rapports de force dont les effets récurrents sont dommageables à la diversité et au maintien du maillage du territoire. Depuis maintenant plus de 30 ans, le Médiateur du cinéma est, dans ce contexte, l’une des institutions les plus précieuses qui soient. Même si le Médiateur, par l’esprit de conciliation qu’il incarne, n’a pas le pouvoir de régler toutes les difficultés liées à la diffusion de l’Art et Essai, il est sensible à ses enjeux et constitue un recours essentiel et un garde-fou face aux possibles abus et discriminations.
L’accès aux films dans des délais attractifs et dans des conditions proportionnées au potentiel de l’œuvre, de la salle et à ses moyens demeure l’impératif premier de chaque exploitant Art et Essai. Et ce, d’autant plus qu’il se situe dans une économie fragile, où les entrées sont concentrées sur quelques titres. Bien souvent, la salle Art et essai se heurte à la déclinaison d’un modèle de sortie inadapté à ses spécificités. À Paris, ces derniers mois, les cinémas indépendants Art et Essai ont pu être quasiment exclus du plan de sortie de quelques films emblématiques, conséquence dangereuse du développement de la concentration et du jeu des cartes illimitées. Régulièrement, pour quelques films attendus, les exigences quantitatives du distributeur, en nombre de semaines et de séances, deviennent excessives, servant d’abord une logique de saturation du marché jusque dans les mono-écrans. C’est alors le principe même de la diversité de l’offre qui est remis en cause. Sur ce dernier sujet, la Médiatrice du cinéma a déjà rédigé une recommandation s’opposant au principe du plein programme dans les mono-écrans. Malgré le numérique, de nombreux exploitants se voient également refuser la possibilité de diffuser un film dans ses deux versions quand cette demande est acceptée pour le multiplexe voisin. De même, depuis maintenant plusieurs décennies, de nombreuses sociétés de distribution persistent, contre toute logique économique, à imposer des séances en soirée pour des films jeune public, y compris jusque dans les plus petites exploitations. Et ce ne sont là que quelques exemples de cas récurrents.
De notre côté, face aux demandes quantitatives des distributeurs, il nous appartient de mieux valoriser, chiffres à l’appui, tout le travail qualitatif spécifique à nos salles : les animations, les programmes, le travail scolaire, la relation personnalisée à un public assidu et cinéphile. Les résultats nationaux de la majorité des films Art et Essai confirment l’impact de ce travail de fond qui porte ses fruits. Il nous appartient de souligner le fait que les salles Art et Essai investissent dans la promotion des films quand d’autres salles, au contraire, la facturent aux distributeurs! La médiation est donc un outil précieux et efficace… encore faut-il l’utiliser. Pour cela, le fait d’anticiper la médiation est un préalable, l’absence de réponse d’un distributeur étant un motif suffisant de médiation. La saisine collective, jusqu’ici peu usitée, peut également avoir un impact notoire. Enfin, puisque le renforcement des pouvoirs de la Médiatrice est prévu, nous en profitons pour communiquer deux suggestions : que certains résultats de médiation soient plus souvent rendus publics (comme cela peut déjà être le cas) afin qu’ils constituent un précédent opposable, et que les médiations à distance soient favorisées pour les salles les plus éloignées, même si la présence physique des personnes en conciliation reste préférable.
Au-delà de sa mission première relative à la conciliation, le Médiateur du cinéma joue également un rôle essentiel sur d’autres dispositifs de régulation : que ce soit sur le terrain des engagements de programmation ou sur celui de l’aménagement cinématographique du territoire. Là aussi, nous proposons que les analyses et propositions de la Médiation du cinéma soient effectivement prises en compte. Dans l’intérêt des salles et distributeurs indépendants, et des films qu’ils accompagnent.
François Aymé, Président de l’AFCAE