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Recevoir l'information ou aller la chercher

Pour comprendre, il faut chercher à savoir. Cela paraît une évidence mais dans une époque où les nouvelles technologies entretiennent le sentiment que l’on peut avoir accès à toutes les informations, que le monde est « transparent », ce rappel ne semble pas inutile.
S’il a de bonnes notes, un enfant s’empressera de les communiquer à ses parents, en revanche, il repoussera cette échéance en cas de mauvais résultats. Et si l’enfant avait le pouvoir de ne communiquer que ses bonnes notes, il le ferait sans doute. La communication valorisante va de soi, la diffusion des informations négatives dépend du pouvoir de celui qui les détient ou de la capacité d’autrui à la rechercher.

1. On connaît la part de marché du cinéma américain en France (45% en 2018), régulièrement communiquée par la presse. C’est souvent une manière de souligner la bonne résistance du cinéma français par rapport à ses voisins européens. Soit une « bonne note ». En revanche, on parle bien moins souvent de la donnée inverse : à savoir la part de marché du cinéma français aux États-Unis. On devine vaguement qu’elle est peu significative, même si l’on souligne, de temps en temps, un succès hexagonal outre-Atlantique. A-t-on déjà lu cette donnée dans un article de presse ? Peu probable. En 2018, les films français ont enregistré sur le marché nord-américain (hors Quebéc) une recette de 78,6 millions de dollars pour un box-office de 10,7 milliards de dollars. Soit une part de marché de l'ordre de 0,7%. Ce résultat peut comprendre des coproductions françaises anglophones du type Paddington 2 ou Dunkerque. Une mauvaise note à occulter. Et pourtant, aux États-Unis, le 7° Art hexagonal devance le cinéma espagnol, italien, allemand. Ne parlons pas du cinéma non-occidental. Depuis un siècle, le cinéma américain s’exporte massivement dans le monde, il a dans le même temps, une capacité exceptionnelle à ne laisser aucune place au cinéma non anglo-saxon sur son proche marché. Il occupe les écrans et l’espace médiatique. Sa domination est si forte et définitive qu’elle ne pose plus question. Et il faudrait assouplir nos règles qui préservent, en France et en Europe, un espace pour la diversité ? En clair, partager les miettes.

2. Depuis l’arrivée de Netflix, les chiffres qui sont communiqués par la plateforme sont ceux du nombre de ses abonnés. On sait donc qu’il est aujourd’hui d’environ 5 millions de foyers (la « bonne note »). En revanche, la plateforme ne diffuse pas les audiences de ses programmes, sauf quand celles-ci sont exceptionnellement bonnes (45 millions de visionnements dans le monde pour le film Bird Box de Susanne Bier). Ainsi, on s’extasie devant la progression des abonnés sans chercher, au fond, vraiment, à savoir ce qu’ils regardent. Un peu comme si l’on ne connaissait que le nombre total de téléspectateurs (plus de 60 millions) ou de spectateurs de cinémas (plus de 40 millions) sans chercher à étudier les audiences de tel ou tel film. Pour les résultats de fréquentation en salles, rappelons que le rapport entre le plus gros succès et le plus lourd échec peut aller de 1 à … 10 000. Netflix a donc réussi à donner l’illusion que, puisqu’il disposait de 5 millions de foyers abonnés, c’était autant de spectateurs potentiels… pour tous ses programmes ! Comme s’il suffisait qu’un film soit accessible pour qu’il soit vu, ou qu’un livre soit posé sur une étagère pour qu’il soit lu par tous les inscrits d’une médiathèque. Pour remédier à cette inconnue, le Centre National du Cinéma a mis en place un panel d’abonnés français à Netflix afin d’étudier leur comportement de spectateurs. En décembre 2018, au moment de sa « sortie » sur la plateforme, Roma pointait au-delà de la 250° audience de la plateforme. Une contre-performance révélatrice. Les remontées confirment le positionnement mainstream, séries et films de genre anglo-saxons de la plate-forme. Un film mexicain en noir et blanc, même réalisé par un grand cinéaste oscarisé, est une anomalie dans les algorithmes d’une plateforme de type Netflix. Roma, c’était pour la galerie, les médias, pas pour les abonnés. Une recherche de prestige et de légitimité. Au milieu des années 80, Francis Bouygues a bien réussi à faire croire aux politiques et aux journalistes, que TF1 allait devenir la chaîne du « mieux disant culturel » ; pourquoi Netflix n’arriverait-il pas à faire croire qu’il est le lieu d’avenir pour la diffusion des grands auteurs ?

3. Nouvelle illustration de la nécessité d’aller à la pêche à l’info : le marché international de l’Art et Essai. Quand les médias traitent du box-office mondial c’est pour souligner les performances des blockbusters, effectivement impressionnantes. Il est plus rare de lire des commentaires sur la carrière internationale des films d’Art et Essai. Prenons trois exemples emblématiques : les dernières Palme d’or. Pour Une Affaire de famille : 76,5% des recettes sont asiatiques, 17% viennent d’Europe, 5% du continent américain, 1% d’Océanie. Pour The Square : 84,5% des recettes en Europe, 11% pour le continent américain, 2,35% pour l’Océanie et 2,25% pour l’Asie. Enfin pour Moi, Daniel Blake : 85% des recettes sont européennes, 5% pour l’Asie comme pour l’Océanie et seulement 4,5% pour le continent américain. Le continent africain est totalement absent.  La France est, soit le pays leader en part de marché (pour The Square et Moi, Daniel Blake), soit sur le podium (3° place pour Une Affaire de famille derrière le Japon et la Chine). Ainsi, quand on commente l’évolution du cinéma dans le monde, toute la question est de savoir quels sont les critères que l’on retient. La France et l’Europe, dont on peut lire que les modèles sont « obsolètes », qu’ils « vacilleraient », sont bien, pourtant, les territoires où les films d’auteurs sont, nettement, les mieux défendus et diffusés.

4. En 2018, le cinéma polonais a connu son plus gros succès en salles avec Kler de Wojciech Smarzowski. 6 millions d’entrées, un record depuis 1989 ! Des files d’attente, des réservations à n’en plus finir. Le sujet : tous les abus de pouvoir (corruption, pédophilie…) de l’église polonaise. Un film coup de poing qui résonne dans la société malgré les tentatives de censure et l’obligation pour l’auteur de tourner en Tchéquie. Un succès éloquent qui nous rappelle que le cinéma peut toucher un public massif hors des blockbusters et des comédies, quand il n’a pas froid aux yeux et qu’il fait écho au vécu profond des spectateurs. Une « bonne note » qui a eu peu d’écho en France où le film est encore inédit. Les Polonais auraient-ils des choses à nous apprendre ? Difficile de regarder vers l’Est quand on vit sous la fascination de l’Ouest.

À la fin de la conférence de presse du Festival de Cannes, la question qui était sur toutes les lèvres était celle de la présence hypothétique, espérée, attendue, du prochain Tarantino (et on peut le comprendre). Mais quid du dernier film de Zhang Yimou, One Second, dont l’action se déroule pendant la révolution culturelle, interdit de sortie à Cannes comme à Berlin par la deuxième puissance mondiale ? Et après Leto dont le réalisateur Kirill Srebrenikov avait été interdit de séjour sur la Croisette, quid du nouveau film de Pavel Lounguine, Fraternité, consacré à la guerre en Afghanistan ? Le Festival de Cannes demeure, avec les salles Art et Essai, les festivals, les cinémathèques, quelques chaînes de service public, une fenêtre de liberté sur les pays et les cultures du monde d’autant plus précieuse, qu’elle est rare et fragile.

François Aymé
Président

Retrouvez le numéro de mai du Courrier de l'Art et Essai (n°269)

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Edito

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