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Prise de pouvoir

Première vague et premier confinement : la sidération. Deuxième vague et deuxième confinement : la torpeur et l’abattement qui guette. Dit comme ça, ce n’est guère réjouissant, ni encourageant. La longue durée de cette situation incertaine avec de nouvelles menaces sanitaires finit par miner chacun·e d’entre nous. 

Les aides structurelles sont au rendez-vous et l’on ne peut que saluer ce véritable effort des pouvoirs publics. Mais dans le même temps, chacun·e a eu en tête un sentiment d’injustice quand, en décembre dernier, les cinémas et les salles de spectacle sont restés fermés alors que les commerces et les galeries marchandes étaient ouverts.

Il nous reste à attendre pour ce qui ressemble de plus en plus à un marathon. La période nous incite à la réflexion, à la formation, à notre communication, à l’éducation au cinéma et même aux travaux, quand c’est possible. L’AFCAE est prête à participer à cette dynamique indispensable, en particulier du côté de la formation continue du personnel, et des propositions seront adressées aux adhérents très prochainement.

D’autant que, depuis le début de cette crise sanitaire, c’est à une double révolution-déflagration à laquelle nous assistons. La crise sanitaire et le développement des plateformes de streaming, en particulier de Netflix. Hausse du nombre d’abonnés en France et dans le monde, meilleure couverture presse. Indéniablement, un nouveau cap est passé. Certains signes ne trompent pas. Notamment les commentaires saluant l’exceptionnelle audience internationale de la série française Lupin (à la une du Parisien, de Libération…). C’est évidemment une bonne nouvelle pour la production française et l’on ne peut que s’en réjouir. Mais ce qui est nouveau, c’est que c’est surtout le diffuseur Netflix qui touche le jackpot et l’acteur Omar Sy, par son gain de notoriété. Quant à Ludovic Bernard et Hugo Gélin, les réalisateurs, on cite à peine leurs noms, que ce soit dans la presse ou dans la grande campagne de communication de Netflix. Le producteur Gaumont est absent de l’affiche. C’est clairement une autre façon de travailler, de communiquer. Un nouveau système où la série est assimilée de plus en plus à un produit de grande consommation mondiale rattachée à une marque, celle du diffuseur. Rien de bien neuf là-dedans, sauf que ce modèle est en train de devenir dominant, d’une puissance étonnante. La stratégie ne s’arrête pas à la dimension économique mais également à la symbolique. Netflix produit Mank, le dernier film de David Fincher, en noir et blanc, consacré à Herman Mankiewicz, le scénariste de Citizen Kane ; Netflix diffuse les Chaplin, les Truffaut, les Sautet ; Netflix investit dans les écoles de cinéma, passe un accord de partenariat avec la Cinémathèque Française afin de financer la restauration du Napoléon d’Abel Gance. Que de bonnes nouvelles !? Netflix a compris depuis longtemps que la magie du cinéma se nourrissait de symboles, de rites, de mythes, du star-system, comme a pu récemment le souligner Thierry Frémaux. Sa prise de pouvoir (car c’en est une) passe donc aussi par la case symbolique, un investissement d’image à moyen terme (on aura remarqué que Netflix communique beaucoup moins sur les audiences des Scorsese, Fincher, Cuaron, Coen que pour Le Jeu de la dame ou The Crown). Toute la question est de savoir quelle est la place qui va rester pour les autres opérateurs, diffuseurs, producteurs. Quelle place auprès des spectateur·rice·s, des médias ? Comment va-t-on protéger un autre système plus traditionnel, tourné vers l’artistique, qui se soumet moins à un marché mondialisé, à des schémas narratifs ? La question se pose notamment en termes d’images : pour les politiques et les médias, le succès commercial de Netflix est spectaculaire et donc, d’une certaine manière, relègue au second plan le système traditionnel. Mais, comme a pu le dire un grand exploitant américain, quels sont les grands cinéastes que Netflix a révélé ? C’est dans ces périodes de mutation que les questions de liberté de création et de diversité doivent être posées du côté du pouvoir et des médias.

Il y a une autre série dans l’actualité qui connaît encore des rebondissements mais qui ne passionne guère. C’est la série Pass Culture. Lancée en pleine campagne présidentielle en 2016, nous en sommes à la sixième saison ! Malgré les piètres résultats, malgré la pandémie, l’objectif du gouvernement est de toucher l’ensemble des 800 000 jeunes de 18 ans avec un Pass ramené de 500 à 300 euros. Pour cela, un budget de 50 millions d’euros. D’où viendront les 190 millions manquants, on ne le sait pas encore. Le Ministère de la culture a bien intégré la nécessité de développer un travail de médiation, d’animation mais celui-ci ne saurait bénéficier d’un financement spécifique. Nous le redisons, le Pass Culture est ce que l’on appelle une fausse bonne idée. Ce n’est pas en faisant un chèque de 300 euros à une fille ou un garçon de 18 ans que l’on va l’inciter à avoir des pratiques plus diversifiées, on va au contraire développer les pratiques déjà existantes et dominantes. Il est encore temps d’investir vraiment, comme l’a préconisé le Premier Ministre lors de l’ouverture du festival d’Angoulême, dans l’éducation au cinéma, la médiation culturelle, les animations, les ateliers. Donner le goût, au risque que le cinéma perde de sa saveur.

François Aymé
Président de l'AFCAE

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Edito

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