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Pas la moindre des missions

 

A l’heure où nous écrivons ces lignes, Chez nous de Lucas Belvaux, film de fiction consacré à un parti politique (en l’occurrence, le Front national), va sortir en salles pendant la campagne de l’élection présidentielle. L’événement inédit est loin d’être anodin, même s’il est en quelque sorte la suite logique d’une succession notable d’œuvres aux sujets politiques ou sociaux. Quelle que soit l’appréciation de chacun sur les qualités du film, il faut reconnaître à Lucas Belvaux le courage et la pertinence de sa démarche. A un moment aussi déterminant de la vie démocratique, il est sain qu’à la parole des politiques et des médias s’ajoute celle de l’artiste qui a son propre point de vue, sa propre vision et qui, par sa capacité « à mettre en situation », à créer des personnages, peut décrire ou éclairer des discours, des comportements qui, autrement, pourraient demeurer, pour certains, théoriques ou éloignés de leur propre quotidien. Quitte à ce que ce point de vue soit critiqué, contredit. Le film fera parler, réagir. Et ce avant de découvrir Un Berger à l’Élysée ? , de Pierre Carles et Philippe Lespinasse, documentaire tourné pendant la campagne : autre nouveauté stimulante. Ainsi, le cinéma s’invite dans le débat public et l’on ne peut que s’en réjouir.

La perception du cinéma français et francophone est souvent binaire : d’un côté, les comédies plutôt grand public ; de l’autre, les drames psychologiques, avec quelques développements vers le cinéma de genre. Dans les faits, les incursions de notre cinéma vers des sujets politiques, sociaux sont non seulement récurrents mais souvent pertinents et opportuns et peuvent rencontrer de larges succès publics. Succès qui montrent une véritable appétence des spectateurs pour des œuvres en prise directe avec le réel, qui en pointent les dysfonctionnements, agitent des questions, des solutions, des pistes. Avec sérieux ou avec humour, c’est selon.  Nous avons naturellement tous en tête les récents succès spectaculaires tels que Demain (l’écologie), Merci patron ! (les excès du patronat), Fatima (l’intégration des jeunes d’origine maghrébine), Timbuktu (l’islamisme radical), Les Nouveaux chiens de garde (les liens entre médias et milieux d’affaires) ou encore Mustang (les mariages forcés). Mais dans l’ombre de ces films aux carrières atypiques exceptionnellement longues (qui sont souvent le signe éclatant d’une prise de conscience politique), de nombreux films antérieurs, plus modestes, ont bien souvent porté des signaux d’alerte avant-coureurs. Concernant le parcours de sympathisants ou de militants d’extrême-droite, avant Un Français (2015) de Diastème, Mehdi Charef avait « ouvert la voie » avec Marie-Line, deux ans avant l’élection présidentielle de 2002. Nassim Amaouche, en 2009, avec Adieu Gary, puis Philippe Faucon, en 2012, avec La Désintégration, avaient décrit de manière précise et prémonitoire, le développement de l’endoctrinement de l’islam radical dans la jeunesse des banlieues ou des petites villes industrielles. On pourrait multiplier les exemples de titres à la démarche citoyenne, repérés et soutenus par des distributeurs indépendants et accompagnés sur tout le territoire par les cinémas Art et Essai, de Au bord du monde de Claus Drexel à Pierre Rabhi, au nom de la terre, en passant par La Sociale de Gilles Perret ou encore La Cigale, le Corbeau et les poulets d’Olivier Azam, pour citer deux films actuellement à l’affiche.

Ainsi, par la programmation de ces films, mais aussi par la communication et les nombreux débats qui les accompagnent, les cinémas Art et Essai participent de manière discrète, ouverte et constante aux échanges, à la réflexion, à la prise de parole politique. On soulignera qu’il n’y a pas tant d’autres lieux publics où la parole et le lien social sont aussi libres et vifs. Ce n’est pas la moindre des missions de nos salles.

François Aymé
Président de l'AFCAE

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