LE GRAND JEU
France - 2015 - 1h39
Prix Louis Delluc du premier film 2015
Avec André Dussollier, Melvil Poupaud et Clémence Poésy
Synopsis
Pierre Blum, un écrivain de quarante ans qui a connu son heure de gloire au début des années 2000, rencontre, un soir, sur la terrasse d'un casino, un homme mystérieux, Joseph Paskin. Influent dans le monde politique, charismatique, manipulateur, il passe bientôt à Pierre une commande étrange qui le replongera dans un passé qu'il aurait préféré oublier et mettra sa vie en danger. Au milieu de ce tumulte, Pierre tombe amoureux de Laura, une jeune militante d'extrême gauche; mais dans un monde où tout semble à double fond, à qui peut-on se fier ?
L'Avis d'Un exploitant
LA RÈGLE DU GRAND JEU - par Luc Lavacherie
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Même si ça ne semble pas l'ambition première du Grand Jeu, qui est avant tout un polar politique passionnant, tenu de bout en bout, je crois que nous étions beaucoup de ma génération (j'ai 42 ans, soit presque exactement l'âge de Pierre Blum, le personnage principal du film) à attendre secrètement, mais sans plus trop y croire, qu'un film français reformule le rapport problématique et complexe que nous entretenons avec la politique (nous serions une génération sans idéal, sans utopie, sans faits de gloire, désoeuvrée en un certain sens). Non pas que Le Grand Jeu « réenchante » notre rapport au politique, mais plutôt qu'il lui reconfère par les moyens simples et puissants du cinéma toute sa profondeur romanesque à partir de laquelle tout redevient possible.
Quand l'anodin Roger Thornhill (Cary Grant) dans La Mort aux Trousses est arraché à sa médiocre existence pour être embarqué dans une histoire d'espionnage qui le dépasse, ce n'est pas qu'on lui vole sa vie mais au contraire qu'on le rappelle à une vérité qu'il semblait avoir oubliée : le monde est un roman. C'est un peu ce qui arrive à Pierre Blum (Melvil Poupaud) au début du Grand Jeu quand l'énigmatique Paskin (magistral André Dussollier) lui commande l'écriture d'un livre. Peut-être que tant que nous ne comprendrons pas que nous sommes des personnages de roman, tant que nous ne passerons pas de l'autre côté du miroir où tout nous dépasse, tant que nous n'éprouverons pas le vertige du Grand Jeu, nous passerons à côté de nos vies et du monde.
Balzac voulait « concurrencer l'état civil », projet insensé mais pourtant réussi. L'état civil de nos jours, ce sont par exemple les chaînes d'information continue, où les films « politico-sociologiques » illustrant de façon édifiante un fait de société précis pour susciter l'indignation ou la compassion du spectateur et le ramener à des sentiments soi-disant authentiques. Pour échapper à cette assignation, il ne s'agit pas de fuir le monde - comme Pierre Blum croit d'abord devoir faire - mais de réaccéder à son arrière-fond fictionnel, remettre les doigts dans cette mécanique secrète, où le vrai et le faux se dialectisent à tout moment, l'ombre et la lumière ne cessent de se substituer l'une à l'autre, où la manipulation prend sa part bien sûr, mais aussi l'amour, l'amitié, l'engagement sincère, la lâcheté, la folie, la poésie, tout un champ d'aimantation complexe, dangereux, excitant.
C'est ce territoire, laissé un peu en jachère par le cinéma français depuis la mort de Chabrol, que réinvestit brillamment Nicolas Pariser avec son Grand Jeu ; un film qui ne cherche pas à « faire un coup » mais à nous montrer le subtil entremêlement de plusieurs coups pour atteindre à la densité d'une partie de poker. Tous les joueurs attablés, toutes les forces en présence, tous les personnages y ont leur carte à jouer dans un rapport de stricte égalité. Y compris le spectateur. Telle est la règle du Grand Jeu. Je souhaite à chacun de pouvoir s'asseoir à cette table. D'ailleurs, sans toujours le savoir, nous y jouons déjà.
Luc Lavacherie, Gallia Théâtre Cinéma, Saintes
(Membre du Groupe Actions Promotion)
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