RÉTROSPECTIVE CHANTAL AKERMAN
1974-2015
Versions restaurées 2K et 4K
SYNOPSIS
Cinéaste révolutionnaire et inclassable, en à peine plus de quarante ans Chantal Akerman a composé une œuvre aussi protéiforme qu'aventureuse, partant du “je” de l'autofiction (Je, tu, il, elle, Les rendez-vous d’Anna) et du journal intime (News from Home, Là-bas, No Home Movie) avant d'explorer l'altérité du monde contemporain en proie à de multiples tensions dans ses documentaires (D'est, Sud, De l'autre côté).
Surtout, ses films ont librement embrassé pléthore de registres allant de la comédie musicale (Golden eighties) au drame littéraire (La captive, La folie Almayer) en passant par la comédie familiale (Demain on déménage) et romantique (Un Divan à New-York), le drame sentimental exalté (Toute une nuit) ou la théâtralité (Letters home, Histoires d’Amérique), tout en ressassant les mêmes obsessions : traumatisme de la Shoah dont découle une relation unique à la mère et le questionnement de l’identité juive, rapport hypersensible à la sexualité et la féminité, fatalité de la route et de l’exil, nécessité de la passion dans un environnement instable… Il a souvent été dit que le cinéma d’Akerman était une expérience mettant le spectateur à l’épreuve du temps. Ces deux cycles, composés de huit films chacun, sont l’occasion de prendre, justement, le temps de redécouvrir une œuvre-monde.
25 septembre – Cycle 1 (1974-1993)
JE, TU, IL, ELLE (1974, 90min)
NEWS FROM HOME (1976, 90min)
LES RENDEZ-VOUS D’ANNA (1978, 127min)
TOUTE UNE NUIT (1982, 90min)
GOLDEN EIGHTIES (1986, 96min)
LETTERS HOMES (1986, 104min)
HISTOIRES D’AMÉRIQUE (1988, 92min)
D’EST (1993, 110min)
23 octobre – Cycle 2 (1996-2015)
UN DIVAN A NEW-YORK (1996, 104min)
SUD (1999, 70min)
LA CAPTIVE (2000, 107min)
DE L’AUTRE CÔTÉ (2002, 102min)
DEMAIN ON DÉMÉNAGE (2004, 112min)
LÀ-BAS (2006, 78min)
LA FOLIE ALMAYER (2011, 127min)
NO HOME MOVIE (2015, 115min)
LE MOT DES EXPLOITANT·ES
Après la réédition - déjà soutenue par le groupe Répertoire de l’AFCAE - et le beau succès en salle de Jeanne Dielman 23, Quai Du Commerce, 1080 Bruxelles, Capricci nous invite à redécouvrir en salle à partir de cet automne seize autre films de Chantal Akerman. Après un passage express par l’INSAS, Akerman part aux États-Unis. Elle a dix-huit ans, 50 dollars en poche et dix mots d’anglais à son vocabulaire. Là-bas, elle côtoie le milieu underground new-yorkais (Jonas Mekas, Bob Wilson, Stan Brakhage...) qui va influencer la part expérimentale de ses films. Après cinq courts métrages et un long métrage documentaire expérimental (Hôtel Monterey), elle réalise à vingt-quatre ans son premier long de fiction, Je, tu, il, elle et va alterner par la suite documentaires et fictions, installations vidéo et films pour la télévision, s’intéressant à la danse, la musique, les arts plastiques, la comédie musicale… Explorant toutes les possibilités de son média, passant de l’intime (News From Home, No Home Movie) à l’exploration du monde (D’Est, Sud, De l’autre côté, Histoires d’Amérique), s’essayant aux adaptations littéraires (Proust avec La Captive, Conrad avec La Folie Almayer) entre deux films-essais (Les Rendez-vous d’Anna, Toute une nuit...), elle nous offre une œuvre protéiforme, unique et inclassable.
Le groupe Répertoire de l’AFCAE a choisi quatre titres - un par décennie, deux fictions, deux documentaires - comme quatre portes d’entrées possibles dans cette filmographie foisonnante...
LES RENDEZ-VOUS D'ANNA
1978 - 2h07
Comme Jeanne Dielman, ce film suit pas à pas une femme pendant trois jours. Mais à l’enfermement dans un appartement succède un voyage à travers trois pays. Chantal Akerman se raconte toujours beaucoup dans ses films mais évite toujours les écueils d’un narcissisme stérile. C’est une réalisatrice nomade, sa filmographie étant un va et vient constant entre l’ancien et le nouveau continent, rempli de questionnements sur le passé, les racines, le souvenir. Ainsi Anna, à son image, est une cinéaste parcourant l’Europe à la recherche de son identité culturelle. Elle erre de gares en hôtels, de trains en appartements, elle est une page blanche sur laquelle les inconnus rencontrés au cours de ses vagabondages vont inscrire leurs histoires, reflets à partir desquels elle va tenter de bâtir la sienne.
HISTOIRES D’AMÉRIQUE
1988 - 92min
Ces Histoires d’Amérique sont l’évocation par des Juifs immigrés de Pologne et de Russie de leurs souvenirs et de leur passé. Pogrom, déportation, mais également histoires d’amours et anecdotes. On s’immerge ainsi dans la diaspora juive à travers des saynètes, tout à tour amusantes et émouvantes, le plus souvent improvisées par les comédiens. Chantal Akerman est issue d’une famille juive ayant dû quitter son pays après la première guerre mondiale. Sa mère fut déportée à Auschwitz. Elle raconte souvent que son enfance fut bercée par les litanies des offices de synagogues. En quête d’elle-même et de son passé, elle a toujours désiré parler du peuple juif (elle a réalisé un documentaire sur Isaac Bashevis Singer). Avec ce film, elle nous en offre un portrait rare et touchant.
SUD
1999 - 70min
Chantal Akerman a déclaré avoir entrepris ce film en réaction à Gummo d’Harmony Korine, pour elle une « vision trop désespérante et inhumaine de l’Amérique ». Elle décide alors de montrer le sud des Etats-Unis, celui de Faulkner et Baldwyn. Mais alors qu’elle tourne, advient le meurtre raciste de James Byrd, un jeune homme noir traîné par une voiture sur plusieurs kilomètres. La cinéaste réalise alors ce documentaire, véritable Blues, complainte languissante d’une communauté afro-américaine sacrifiée à l’autel de la bêtise humaine dans ce qu’elle a de plus abject. Ce Blues est fait de silence (celui d’un racisme omniprésent, mais tu, caché) et de bruit du vent. De paysages portant la marque des supplices passés (les arbres tordus sous le poids des pendus du KKK) et présents (ce travelling, long jusqu’à l’insoutenable, suivant la route au long de laquelle James Byrd fut assassiné). Le film est ponctué de témoignages racontant l’esclavage, la ségrégation, la haine, les meurtres. Mais au-delà des mots et des paysages, ce sont les visages, les silhouettes, qui nous plongent si profondément dans ce sud, convergence de beauté et d’abjection.
LA CAPTIVE
2000 - 1h47
Simon a l’obsession de tout savoir de sa compagne Ariane. Il l’épie sans relâche, la suit dans ses déambulations. Il bâtit sa vie autour d’Ariane, ne veut pas en perdre le fil. La découverte de ses secrets (fantasmés ou réels) et de sa vérité étant sa seule raison d’être. A travers Ariane, Simon veut découvrir qui sont les femmes mais il poursuit ainsi une chimère : Ariane vit dans le hors champ, s’incarne dans la voix off, est vue le plus souvent de dos, disparaît dans des points de fuite au fond de l’écran… Et dans sa quête stérile (il n’apprend rien sur elle) Simon devient le véritable captif, aliéné par son assujettissement à son obsession, dépendant totalement d’elle et de ses secrets imaginaires. On peut rapprocher Simon de Chantal Akerman, lorsque dans Jeanne Dielman elle cherche à toucher le secret de l’âme de son héroïne par l’observation sans relâche de ses faits et gestes. L’interprétation désincarnée de Sylvie Testud et Stanislas Merhar (tous deux prodigieux) et les décors théâtraux ressemblants à des à-plats, rendent le film irréel et fantasmatique. Akerman fait passer les sentiments par l’image (la silhouette de Simon enveloppée par celle d’Ariane dans un film de vacance projeté sur grand écran, ou encore leurs ombres se mêlant lors d’une promenade amoureuse) et nous invite à un voyage troublant et hypnotique dans la psyché humaine.
Olivier Bitoun - Cinéphare, Le Relecq Kerhuon
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