Bienvenue à Cannes !
À l’occasion de l’écriture de cet éditorial et du rapport moral de notre association, je me suis replongé dans la presse de l’année 2022. Si vous avez envie de glisser dans un état dépressif, je vous invite à relire les pages du Monde (17 octobre 2022) : « Au plus bas niveau depuis 40 ans, l’industrie du 7e art se cherche des boucs émissaires », ou de France Info : « Concurrence des plateformes, crise sanitaire et billets trop chers… pourquoi les salles de cinéma n’attirent plus les foules » (2 novembre 2022). Nous avons aussi eu droit à un tir groupé sur le coût du cinéma et sur l’antenne de TF1 (8 septembre 2022), cela devient : « Pourquoi le cinéma est-il devenu hors de prix ? », rien de moins. Vous remarquerez la nuance des points de vue. Nous avons pourtant été nombreux et nombreuses à expliquer que le tarif du billet des salles Art et Essai se situait bien en dessous de la moyenne nationale, que les salles de proximité constituant notre mouvement travaillaient d’arrache-pied pour organiser encore plus d’événements, pour trouver la juste place de chaque film dans une programmation diversifiée, et mettaient en place des actions spécifiques pour la reconquête des publics, notamment à destination des jeunes. Pour certains, rien n’y faisait : le cinéma était mort et enterré, et les jeunes particulièrement n’y remettraient jamais les pieds.
Avec plus de 50 millions d’entrées dans les salles, les premiers mois de 2023 ont donné tort aux éditorialistes, ceux aussi qui portaient aux nues les plateformes, nouveaux entrants du secteur, prédisant un changement radical des habitudes des spectateurs et spectatrices. Car cette industrie n’a pas trouvé son modèle économique : le tassement des abonnements est réel, avec un vieillissement de la base des abonnés, l’offre est instable avec l’arrivée de nouveaux acteurs (Warner, Paramount+) et des fermetures définitives (Lions Gate, Salto). Le public est volatil en fonction de l’offre immédiate. La production s’industrialise et le constat est évident : uniformisation des codes de narration, utilisation de franchises pour assurer une rentabilité et formatage de la mise en scène. On est loin de l’espace de liberté et de création mis en avant pour attirer les talents.
Après cette si longue période de commentaires plus pessimistes les uns que les autres, il en faut de la résilience, de l’énergie et de l’action collective pour se remettre au travail et pour soutenir les films qui nous tiennent à cœur.
Le rapport Lasserre, Le cinéma à la recherche de nouveaux équilibres : relancer des outils, repenser la régulation ?, qui a été remis aux ministères à la mi-avril ouvre un champ important de concertation et d’échanges avec toutes les composantes de la filière. Le rapport présente un constat très étayé sur la qualité du travail des salles Art et Essai, sur la nécessité de préserver le maillage territorial et sur le caractère unique au monde de la diversité de programmation. Les préconisations contenues dans le rapport ne nous semblent répondre ni à la réalité du terrain, ni aux besoins manifestes d’une meilleure prise en compte du travail qualitatif des salles dans l’étude du classement Art et Essai. Ce rapport propose des préconisations qui nécessiteront de longs échanges pour trouver la bonne formule afin de ne laisser aucune salle sur le bord de la route et continuer à revendiquer un accès à la culture pour toutes et tous et partout. Le CNC ayant annoncé vouloir mettre en place une nouvelle réforme de l’Art et Essai, nous porterons cette philosophie, ADN de notre mouvement, lors des nouvelles concertations interprofessionnelles attendues prochainement.
À quelques jours du début du 76e Festival de Cannes, nous nous préparons à vous recevoir pour les Rencontres nationales Art et Essai. Cette année encore, les salles Debussy et Agnès Varda seront les lieux de nombreuses découvertes de films, d’auteur·rice·s et de la diversité des points de vue thématiques et esthétiques qui feront l’année cinéma. L’année dernière, Tom Cruise avait fait sur la grande scène du Théâtre Lumière une véritable déclaration d’amour au cinéma en salles et Ruben Östlund, aujourd’hui président du Jury, recevait une deuxième Palme d’or et lançait son film sur le chemin du succès dans nos salles. À Berlin, Nicolas Philibert et Philippe Garrel ont reçu les plus hautes distinctions pour des films exigeants et s’inscrivant dans leur parcours de cinéaste. Quant à Venise, qui se souvient des films de plateformes sélectionnés, qui, s’ils ont fait le buzz sur les réseaux sociaux, ont aujourd’hui complètement disparu des mémoires ou reçoivent des prix aux Razzie Awards. Festival plus sortie en salles, voilà le duo gagnant pour entrer dans l’histoire du cinéma. Martin Scorsese a dû réfléchir à cette équation en acceptant l’offre de Thierry Frémaux de présenter son nouveau film à Cannes en Sélection officielle. Ainsi la France bénéficiera d’une sortie salle à la différence de beaucoup d’autres territoires où le film ne sera vu que sur des tout petits écrans bien éloignés de l’esprit de frontière des westerns que porte le film.
Les valeurs partagées par le Festival de Cannes et les salles Art et Essai sont évidentes et c’est pourquoi nous venons depuis 32 années ouvrir le festival avec nos Rencontres. Un moment d’échanges, de travail, d’information, de découverte des films, de présence des cinéastes et des équipes mais aussi de convivialité. Bien que le contexte soit différent, ces Rencontres sont l’exact reflet du travail mené par nos salles pendant toute l’année.
Nous vous attendons nombreux.euses et motivé·e·s pour notre Assemblée générale afin de construire ensemble l’Art et Essai des dix prochaines années. Venez à la rencontre des Administrateurs·rice·s et de l’équipe permanente pendant toute cette quinzaine pour apporter vos idées et vos propositions afin de construire le mouvement collectif et moderne de l’AFCAE. Les festivals, c’est aussi cela : un moment partagé hors du temps pour construire l’avenir, rêver d’utopie et revendiquer ce que nous sommes.
Guillaume Bachy,
Président