La partition
Le Congrès de la FNCF à Deauville au mois de septembre a été l’occasion de faire le point sur la tonalité du secteur, composant les enjeux de l’année à venir. En fonction des trois branches de l’exploitation (petite, moyenne, et grande), il semble que le retour des spectateur·rices soit très différent selon la catégorie de salle. Si la petite exploitation annonce des résultats positifs avec un volume d’entrées presque équivalent à ceux de 2017-2019, la moyenne, mais surtout la grande ne semblent pas être au même niveau d’entrées et tirent la sonnette d’alarme sur leurs exploitations en danger.
Après ce premier couplet, la chanson se poursuit par une demande de revalorisation du partage du compte de soutien par la grande exploitation. Pour rappel, ce compte, géré par le CNC, est principalement utilisé pour l’investissement et se constitue grâce à une taxe (TSA) prélevée sur l’ensemble des billets vendus en France. Sur le modèle de l’impôt sur le revenu, qui fonctionne avec plusieurs tranches en fonction du montant imposable, la répartition de cette enveloppe suit un principe de redistribution, aidant les plus faibles grâce au soutien des plus fort·es. Ce taux de retour n’ayant pas été modifié depuis 2012, il est tout à fait cohérent de vouloir après 12 ans rediscuter des modalités. Toutefois, sur un dossier aussi technique, il nous faut avant tout bien connaître les clés de répartition du système et les implications qu’une modification du calcul ferait porter sur les possibilités d’investissement des salles les plus fragiles et ceci avant toute décision, particulièrement dans un moment où les spectateur·rices attendent plus de qualité y compris dans les salles Art et Essai.
Ce premier couplet s’accompagne d’un refrain que nous entendons régulièrement depuis quelque temps : il y aurait trop de copies, les entrées seraient trop diluées et le ticket moyen de certaines salles beaucoup trop bas. Dire aujourd’hui qu’une salle pratiquerait des prix trop peu élevés reviendrait aussi à dire que d’autres ont des tarifs prohibitifs qui pourraient desservir la filière tout entière par un effet d’annonce. Porter une telle idée serait nuisible à la totalité de l’exploitation et à son image. Il nous paraît évident que chaque exploitation doit pouvoir choisir sa grille de tarifs, en fonction de son territoire, de ses investissements, de son modèle et de la politique culturelle qu’elle souhaite porter. Pour le nombre de points de diffusion d’un même film en circulation, la responsabilité en revient en premier lieu aux distributeur·rices évidemment, qui choisissent les plans de sortie de leurs films. Toutefois, en ce qui concerne les films Art et Essai dits « porteurs », nous pouvons nous interroger sur l’expansion de l’assiette des salles servies en sortie nationale : quelles sont celles qui sortent aujourd’hui ces films alors qu’elles s’en désintéressaient auparavant ? Je crois pour ma part que cette augmentation du nombre de copies sur les films Art et Essai découle, d’une part, d’un manque de films plus commerciaux qui irriguaient auparavant le marché national et, d’autre part, d’une volonté des spectateur·rices d’avoir accès à des films plus qualitatifs, plus singuliers. Cela provoque évidemment des tensions entre des salles qui, historiquement, sont engagées dans l’Art et Essai via un travail de programmation et d’accompagnement culturel associé, et de nouvelles exploitations qui se saisissent de ce travail pour attirer ce public. C’est la loi de la concurrence et c’est pourquoi il y a une absolue nécessité à sanctuariser les aides à la fois nationales et locales qui rééquilibrent les effets du marché. Il est également essentiel de renforcer les pouvoirs du Médiateur du cinéma pour que notre filière ne devienne pas un nouveau Far-West.
Soyons également vigilant·es face à la précarité croissante de certain·es distributeur·rices, notamment celles·eux qui sortent aujourd’hui les films les plus exigeants et qui, malgré le marché actuel, voient leur nombre de séances se réduire comme peau de chagrin. Ces mêmes films qui, par ailleurs, seront sur-pondérés dans le classement Art et Essai qui se basera sur la période qui a commencé depuis juillet 2024. Alors oui, sur cette base, les entrées d’un même film peuvent être partagées entre les exploitations et particulièrement dans les zones à concurrence où il peut y avoir des conséquences importantes pour les salles Art et Essai historiques. Dans les prochains mois, nous serons très vigilant·es quant aux plans de sortie des films Art et Essai afin de pouvoir vous en faire un retour lors de nos prochains rendez-vous. De notre côté, nous avons rajouté un autre couplet à la partition du Congrès, qu’il me semble important de partager ici. Depuis deux ans, les salles de cinéma expérimentent l’utilisation de la part collective du pass Culture dans leurs rapports avec les établissements scolaires (collèges et lycées). Si les salles Art et Essai ont eu de la frilosité au départ, aujourd’hui le partenariat est bien en place et a même été souligné par la ministre, Rachida Dati, dans sa tribune du 11 octobre 2024 dans le journal Le Monde, citant notre mobilisation comme un « magnifique exemple ».
Nous pensons que le pass pourrait être mieux utilisé et correspondre davantage au cahier des charges de la part collective « exclusivement dédiée au financement d’activités d’éducation artistique et culturelle ». Deux encadrements nous semblent nécessaires à mettre en place pour cela : restreindre les offres de la part collective aux seules séances de films Art et Essai et créer un barème de tarification qui soit cohérent avec l’objectif premier de la part collective et adapté à son public scolaire.
Le pass Culture est maintenant bien installé dans les pratiques des enseignant·es. En mettant en place les propositions que nous portons, nous pourrons préserver le système et permettre de proposer plus de séances Art et Essai, touchant plus de jeunes. Ces inquiétudes sur le budget de l’État en 2025, nous les retrouvons pour finir la partition du Congrès. La trésorerie du CNC a été ponctionnée par Bercy de 450 millions d’euros, soit la quasi-totalité des aides données (436 millions) au secteur lors de la crise COVID. Le cinéma et l’audiovisuel peuvent s’enorgueillir de rendre cette aide versée, en cela ils seront sûrement les premiers et sûrement les seuls à le faire. Plus important, il semblerait que le budget du ministère et du CNC soit préservé et que les coupes budgétaires qui auraient pu être redoutées n’auront pas lieu. Cette ponction entraîne toutefois la crainte de voir, dans les années à venir, une fragilisation des finances du CNC et un budget révisé pour faire face à d’éventuelles difficultés. À la fin, cette chanson fait naître aussi de nombreuses émotions, des tensions et des interrogations. Pour préparer la prochaine période, l’AFCAE est en train de mettre en place un espace de dialogue entre, dans un premier temps, distributeur·rices, exploitant·es et le Médiateur du cinéma pour échanger sereinement sur les conditions de sortie des films. Nous espérons bien que cette future réflexion deviendra le tube de l’année 2025.
Guillaume Bachy, président de l'AFCAE