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Les cinémas au tapis (ou pas)

Publication dans Le Film Français daté de la semaine du 17 avril, disponible ici
 
Les cinémas sont au tapis. Sonnés. Groggys. Fermés. Comme jamais depuis l’invention du cinématographe. Depuis un mois, les exploitants ont été catapultés dans une dystopie renversante : un monde où l’entièreté des spectateurs reste enfermée à domicile avec, à portée des yeux, écrans télés, tablettes, ordinateurs, smartphones, plateformes, vod… Tout ce qu’il faut pour avoir accès à une offre pléthorique de films et de séries. Tout sauf la sortie en salles avec grand écran. Un cauchemar ? Oui, sauf que lorsqu’il s’agit d’un cauchemar, on sait qu’au réveil, il est censé s’arrêter. Et là, il y a comme une inconnue : « seuls les lieux rassemblant du public comme les cafés, les hôtels, les restaurants et les cinémas resteront fermés au-delà du 11 mai ».

Bien entendu, l’essentiel se situe du côté de la santé, des malades, des soignants. Mais nous devons mettre à profit la période de confinement pour faire le point, prévoir la suite. Le cinéma ne saurait être réduit à une simple distraction, une sortie comme ça. Nous avons la chance de vivre dans un pays où la fréquentation des cinémas bénéficie encore d’une forte valeur ajoutée, sociale et culturelle qui va bien au-delà de la simple consommation, qui lie désir, plaisir, convivialité et échanges. Cette particularité française, cette exception culturelle, nous enrichit collectivement, nous ouvre les yeux sur le monde. Ce lieu attachant que l’on fréquente et qui rassemble, ce qui faisait hier son attrait, constitue aujourd’hui sa faiblesse.

À court terme, grâce au chômage partiel, au versement anticipé de certaines aides, au report de charges ou à la suspension de loyers, les cinémas pourront rouvrir. Mais à quelles conditions et dans quelles conditions ? La sortie cinéma, moment de détente est-elle compatible avec un climat anxiogène ? Avant de pouvoir redonner envie d’aller au cinéma, au-delà du contexte sanitaire indispensable, les pouvoirs publics et les professionnels doivent rétablir un minimum de confiance, via des mesures concrètes (exemples : des masques à disposition du public, une limitation de la capacité des salles, un accès régulé, des caisses vitrées, un personnel dépisté). Rouvrir sans cette confiance, c’est prendre le risque de repartir avec des charges maximales et très peu de spectateurs. Sans évoquer la programmation : après avoir craint l’embouteillage d’après-confinement, on commence à s’inquiéter d’une panne prolongée de la production. La période grise de reprise peut durer et c’est cette transition incertaine qui peut mettre en péril l’économie de nos salles.

À moyen terme, il nous faut nous interroger sur les habitudes prises ou amplifiées pendant le confinement. Nous avons le sentiment que cette période aura agi comme un accélérateur des tendances lourdes déjà à l’œuvre et bien connues. Une hausse compréhensible des abonnements aux plateformes, du temps passé devant les petits écrans souvent de manière individuelle avec une résurgence de cette bonne vieille télévision. Peu de cinéphiles, beaucoup de téléphages. Et combien de films français vus sur Netflix ? Le modèle industriel anglo-saxon d’une consommation compulsive de flux d’images va-t-il encore laisser une vraie place à une alternative artistique, internationale, diverse et attrayante ? La pérennité de cette alternative repose en France sur la solidité d’un écosystème de régulation construit autour du Centre National du Cinéma. Un Centre qui aura besoin d’un fonds d’urgence pour compenser la perte de ressources liée aux suspensions d’activités. Un Centre qui devra être attentif à ce que chaque maillon de la chaine, de la production à l’exploitation via la distribution, puisse résister à ce cataclysme, de manière solidaire. Et pas seulement de manière défensive mais offensive. Cette crise doit permettre de reposer la question de l’éducation au cinéma, de la transmission du goût du cinéma. Sans médiation pour construire le goût, pas de discernement ni de curiosité. Sans une forte volonté politique sur ce point, la génération qui vient passera COMPLÈTEMENT à côté de la production non anglo-saxonne et regardera le monde avec des lunettes américaines. Cela ne constitue pas seulement un enjeu culturel, c’est un sujet essentiel de société.

À long terme, l’exploitation française, qui a su résister depuis soixante ans à l’avènement de nouvelles pratiques audiovisuelles, doit À NOUVEAU susciter l’envie chez les spectateurs de se déconnecter et de sortir de chez eux pour voir un film. Une mission de plus en plus difficile. Avec un bel écran, du confort, une exclusivité, un accueil. Oui, bien entendu. Mais nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion pour que notre valeur ajoutée soit encore plus attrayante. En particulier dans les cinémas Art et Essai, les festivals, les cinémathèques : riches déjà dans leur capacité à éditorialiser, à conseiller, à animer, à sensibiliser, à débattre, à partager, à faire un vivre un lieu, un moment original, chaleureux.

Sans la volonté publique sur la longue durée, cette envie et ce travail collectif au sein des professionnels pour défendre un cinéma exigeant, inventif, la fréquentation des salles risquerait de se rétrécir autour d’une poignée de blockbusters et de comédies sortis aux vacances scolaires et quelques films d’auteur pour public vieillissant. Mais quand on est au tapis, il faut se relever. Un récent sondage révèle que 52% des Français sont impatients de retrouver le chemin des salles. Notre meilleur capital est ce formidable lien culturel hérité de décennies avec des millions de projections collectives.
 
François Aymé,
Président de l'Association française des cinémas Art et Essai 

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Edito

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